1 – C’est Pierre qui introduit cette réflexion au sein de l’association :
Le Larousse définit le blasphème comme « une parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ».
Je me pose la question suivante :
Un athée qui ne pense pas que Dieu existe, qui n’a pas de religion et pour lequel rien n’est sacré, peut-il blasphémer ? Que les croyants qui ont un Dieu, une religion et pour lesquels le sacré a un sens, puissent être blasphémateurs, on le comprend aisément.
Question corollaire : Un croyant qui entend ou lit un athée qui profère des injures vis à vis de Dieu peut-il considérer qu’il s’agit d’un blasphème puisque c’est un athée (sans Dieu) qui injurie. Le croyant peut être choqué, voire blessé, mais en quoi y a-t-il blasphème ?
J’aimerais vos éclaircissements sur ces questions. Merci d’avance
2 – Réponse de Anne-Marie à Pierre :
Ta réflexion Pierre est très juste. L’athée n’a pas le sentiment de blasphémer. C’est le croyant qui l’interprète ainsi. C’est pourquoi un corollaire est « mort aux impies! »
Certains croyants ne supportent pas ce qu’ils considèrent comme une injure à Dieu (il faudrait voir en psychanalyse, injure à eux-mêmes??) et surtout ils croient que c’est du devoir du croyant de venger l’affront. Ce qui est dit sur Dieu est peut être moins blasphématoire que le fait pour le croyant, de ne pas vivre selon la volonté de Dieu. Pour moi, tuer pour sauver l’honneur de Dieu est le véritable blasphème.
3 – Ensuite, Michel Bertrand (pasteur) a été interrogé par Stéphane ; voici ce qu’il répond :
En protestantisme, blasphème ne veut pas dire grand chose. Or, aucun discours ne peut enclore le divin, donc on n’y atteint pas.
Pour Calvin et Luther « Dieu vient toujours vers nous habillé de langage ». Il se révèle à travers un ou des langages, qu’Il dépasse. Stigmatiser notre Dieu est vain.
Paradoxalement, le droit au blasphème est réclamé par ceux qui ne croient pas, c’est paradoxal. Attaquer les langages et les images de Dieu dans les religions peut être évalué en termes de respect d’autrui. Évidemment, le blasphème existe en catholicisme, en Islam. On a un devoir de respect dans le cadre de la liberté d’expression. Droit au blasphème, droit à la critique, droit à l’humour… En quoi l’humour nous aide à grandir, à nous décaler, et en collectif autant qu’en individuel ? Un blasphème peut entraîner une blessure. Respect de l’autre dans ce qui est la vérité pour lui. Dans un État laïc, le blasphème n’a pas vraiment de sens. Le massacre de vendredi dernier reste totalement inacceptable.
Cf article de Valentine ZUBER sur le blasphème dans Réforme, 10 septembre
+ deux articles de Frédéric ROGNON et Valentine ZUBER dans le dernier
Réforme
https://www.reforme.net/societe/2020/09/10/existe-t-il-un-droit-au-blaspheme-la-chronique-de-valentine-zuber/
4 – Réflexions d’Edith :
Discours vrai et discours faux : les injures à l’égard de la mère, du père ou d’un autre membre de la famille sont fréquentes entre adolescents. En général l’injurié ne réagit pas et répond en miroir dans le même registre parce que les paroles tenues sont « fausses ». Mais parfois l’adolescent réagit de manière très vive et forte (souvent violentes) parce que le discours tenu sur son parent est un discours vrai ou est perçu comme tel.
Si le blasphème est « un discours qui outrage la divinité », c’est que ce discours est perçu comme possiblement vrai par celui qui le reçoit ! Celui-ci est alors immédiatement mis demeure de « défendre l’Honneur » de la divinité, outragée, bafouée, violentée par les propos ironiques ou caricaturaux !
Mode de fonctionnement du fanatique : Cette situation donne des indications sur ses capacités intellectuelles ou ses incapacités à distinguer les différents niveaux de langue, à distinguer le réel et le symbolique, le vrai et le faux… à se décoller ou à prendre du recul face à ce qu’il entend et voit. Il prend tout au pied de la lettre ou au premier degré.
Il est donc particulièrement vulnérable lorsqu’il évolue dans une société où le relativisme et le doute sont permanents, où la vérité avec un grand V n’existe plus, où il faut sans cesse interpréter et prendre de la distance face à ce qui est dit, à ce qui est fait. Il y est perdu, en perte de repères, dans l’incompréhension de ce qu’il s’y passe. Situation incertaine, insécure qui éveille en lui fureur et haine contre ce qui le déstabilise aussi profondément.
Si la liberté d’expression est inscrite dans la Constitution des pays démocratiques, le droit de caricaturer le divin doit être pondéré par les effets que la réalisation de ce droit peut produire chez certaines personnes. A-t-on le droit de troubler si profondément l’esprit de l’autre qu’il n’a pas d’autre choix que la violence pour faire cesser ce trouble ? Tel le Corps des pharisiens face aux discours révolutionnaires de Jésus.
Que faire ? Au delà de l’éducation nécessaire au discernement (entre le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire, etc..), à l’esprit critique, à la prise de distance, il serait souhaitable que les caricaturistes1 soient eux aussi en capacité de prendre du recul, de prendre en compte les réactions des autres et de le dire ou le montrer dans leurs caricatures.
5 – Méditation d’Auguste : Blasphème et violence
En France et dans le monde, des attentats sont perpétrés au nom de Dieu.
Cela me conduit à réfléchir au lien entre violence et blasphème, réflexion que je vous propose de partager.
Le blasphème désigne à l’origine l’acte de parler mal de quelqu’un, de l’injurier, de le blesser. Il va prendre, au fil du temps, un sens plus restreint et concerner une parole, un discours qui outragent la divinité.
Dans la tradition juive, il est interdit de profaner, donc de blasphémer le nom de Dieu par un comportement immoral. Nos actes envers autrui peuvent donc être blasphématoires. Ainsi, la perspective s’élargit. On lit dans 2 Samuel 12 v.14 que le roi David commet l’adultère avec l’épouse d’Urie, puis fait assassiner Urie. Alors le prophète Nathan va trouver David et lui dit qu’il a blasphémé le Seigneur par cette action.
Une idée parallèle se trouve dans l’épitre de Jacques où il déclare que les riches qui oppriment les pauvres blasphèment le nom de Dieu (Jacques 2 v.7)
C’est au 13ème siècle que le droit canonique entérine la notion juridique du blasphème en le dotant d’un régime pénal propre.
Au 17ème siècle le blasphème est assimilé à l’hérésie et participe ainsi à la répression religieuse contre la réforme protestante.
Avançons encore un peu sur cette notion de blasphème. Dans Luc 12 v.10 il est écrit : « Et quiconque parlera contre le fils de l’homme, il lui sera pardonné, mais à qui blasphèmera contre l’Esprit Saint il ne sera pas pardonné ».
Le pasteur Nbaya2 dit à propos de ce verset : « cela vient après que les scribes, les détracteurs de Jésus attribuaient les délivrances et les guérisons au prince des démons en en dénaturant l’origine et le sens. C’est le rejet assumé des temps nouveaux qui était pour Jésus un péché sans rémission ».
Le blasphème contre le saint Esprit se comprend mieux avec cet éclairage. Il me conduit à penser que le blasphème, c’est toute théologie et tout acte, récusant la parole libératrice de Dieu qui éclaire et donne sens à l’avenir de l’être humain.
Les paroles de Dieu mal comprises, fanatisées conduisent trop souvent à la violence et au crime. S’en prendre à la vie humaine est le blasphème le plus grand, il est attentatoire à la volonté et à l’amour de Dieu. C’est ce à quoi se livrent les fondamentalistes de l’islamisme radical.
Le fondamentalisme c’est être convaincu que l’on a une connaissance totale de Dieu pour s’identifier à Lui, jusqu’à se prendre pour Lui. Ainsi, le fondamentaliste peut rejeter ou punir toute personne qui aime et prie Dieu de manière différente, considérant que celle-ci n’a pas sa place dans la communauté humaine. C’est la violence conçue comme divinement justifiée par la lutte manichéenne du bien contre le mal.
Lorsqu’on croit être en possession de la vérité, du savoir sur le bien et le mal, nous nous prenons pour Dieu. Lorsque le processus se fanatise, on se trouve autorisé à détruire ceux qui à nos yeux incarnent le mal que nous devons combattre.
C’est ainsi que Dieu est blasphémé par ceux qui se prennent pour lui.
Sommes-nous impuissants devant ces actes ? Et Dieu où est-il, que fait-il, disent certains ? Questions éprouvantes et douloureuses, qui peuvent nous interroger. Mais ne devons-nous pas dépasser les apparences ? Le mal existe, ce n’est pas Dieu qui l’anime, lui nous appelle à l’amour à la fraternité humaine. Nous ne pouvons pas tout attribuer à Dieu au risque de lui faire supporter le pire de nos actes. Regardons du côté de l’homme : « qu’as-tu fait de ton frère ? », c’est la question que Dieu pose à Caïn après le meurtre d’Abel, c’est la question de la responsabilité humaine face à la violence. Derrière chaque terroriste, il n’y a pas Dieu, mais des hommes porteurs de haine et de mort. Ce n’est pas Dieu qui les anime. Nous ne pouvons rester inactifs, nous devons dire notre horreur et notre volonté d’agir dans la paix et la responsabilité contre le fanatisme religieux qui blasphème contre Dieu et porte atteinte à la vie !
Pour ma part je prie Dieu pour qu’il me donne la force de préserver et de faire grandir l’humanité qu’il a placée en moi. Qu’Il m’aide à ne pas me replier sur ma peur. Qu’Il me garde dans la confiance et l’Esperance, qu’Il me donne d’y prendre toute ma part, de ne pas me dérober à mes devoirs qui sont d’agir contre l’obscurantisme, la haine et le rejet de l’autre. Ainsi ma prière est action, confiance en cette lumière de Dieu qui peut éclairer tout être humain.
N’ayons pas peur, plaçons notre espérance en Dieu, soyons acteurs résolus de fraternité et d’amour, nous ferons ainsi reculer ces porteurs d’obscurantisme.