Question d’émotions en période de pandémie

Nous avons, à ce jour, déjà beaucoup lu et entendu parler de la peur, de l’anxiété et de l’angoisse depuis le mois de mars 2020. La presse, la radio, la télévision et l’Internet non seulement accentuent les émotions morbides ressenties par leurs auditeurs–spectateurs en développant sans cesse, depuis plusieurs mois, les dossiers en lien avec le coronavirus mais informent aussi sur ces émotions et leurs conséquences sur la santé physique et psychique des individus et des groupes.

Ainsi prendre en compte les émotions qui circulent dans l’espace sociétal est une question de « santé publique », même si cette question n’est pas évoquée au niveau ministériel. Il est en effet nécessaire à la fois d’écouter les contenus des informations mais aussi d’entendre et de nommer les émotions que ces informations morbides suscitent en nous. Devenir capable de se dire ou d’exprimer à haute voix, en temps réel ou dans l’après-coup de l’information, ce que nous ressentons doit faire partie de notre hygiène de vie en cette période si inédite, si incertaine et si insécure.

Pourquoi ? L’incertitude et l’insécurité liées au manque de connaissance au sujet du virus, à l’absence de maitrise de la situation sanitaire par la science, la technique et le politique, à la crainte de contracter la covid 19 et d’en mourir… peuvent produire en certains d’entre nous des émotions si terrifiantes ou si effrayantes qu’elles peuvent faire resurgir des pensées archaïques. Celles-ci s’appuient sur des pensées irrationnelles, excessives qui, parce qu’elles ne sont pas conscientisées agissent puissamment sur le psychisme de la personne sous diverses formes : stigmatisation des personnes malades, déni de la gravité de la covid 19 (simple grippe), recherche de coupables, croyances irrationnelles (théorie du complot, fausses nouvelles) ou rituels et pensées magiques pour contrecarrer les risques…

Lorsque les émotions de peur, colère et tristesse sont trop intenses, elles prennent possession de notre corps et de notre esprit, elles nous conduisent à raisonner de manière infantile ou à laisser surgir en nous des fantasmes1 issus des profondeurs de l’inconscient. À l’inverse, être attentif et mettre des mots sur ce que nous ressentons à un moment donné peut nous permettre de prendre du recul par rapport aux informations entendues ou vues et de soumettre informations et émotions à l’épreuve du doute, de la rationalité, du bon sens…

Raisonner ce qui résonne en soi et dans le groupe s’apprend… Savoir exprimer ses émotions fait partie des « compétences psychosociales » dont l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) fait la promotion depuis le début des années 1980 dans un objectif de santé globale, et pas seulement de prévention des maladies. Or ces compétences, dont nous avons plus que jamais besoin pour faire face à la situation sanitaire actuelle, nous font cruellement défaut en France parce qu’elles ne sont enseignées nulle part ; ou à de rares occasions par certains enseignants convaincus qu’il faut avoir appris des savoirs être et des savoirs faire pour intégrer les connaissances scolaires.

Se motiver pour développer son intérêt pour ces compétences passe par l’information, via l’Internet par exemple. Apprendre et acquérir soi-même ces compétences avant de les transmettre aux élèves passe par des outils largement diffusés, au Québec par exemple.

Percevoir, reconnaître, différencier, discerner, définir : l’émotion est un ressenti immédiat et ponctuel en lien avec une situation réelle ou imaginée alors que le sentiment, constitué d’un ensemble d’émotions et de représentations, s’installe sur la durée.

Les émotions sont parfois si fugaces et si ténues qu’il est difficile de les prendre en compte. Elles passent alors inaperçues mais travaillent à l’intérieur de soi en produisant de nombreux effets.

L’anxiété, qui est un état diffus et désagréable, en lien avec des pensées ou une situation ressentie comme inquiétante n’a pas bonne presse dans la culture française : les anxieux font sourire ou agacent les autres ! L’angoisse, qui est de l’anxiété à laquelle s’ajoutent des symptômes psychosomatiques, est rarement entendue par ceux et celles qui la ressentent. « Ce n’est pas possible que je n’aie rien sur le plan somatique » disent-ils / elles. Aussi leur incapacité à donner du sens à ce qu’ils ressentent renforce l’angoisse et accentue les symptômes.

La situation sanitaire actuelle (ainsi que la manière dont elle est traitée massivement sur le plan médiatique, politique, scientifique) est responsable de l’état de tension psychique (communément regroupé sous le vocable « stress ») dans lequel vivent nos concitoyens depuis plusieurs mois.

L’anxiété et l’angoisse, exacerbées par la crise actuelle et installées sur la durée, participent au mal être individuel et collectif. Elles sont en partie responsables des attitudes de banalisation à l’égard de la morbidité du coronavirus qui nous conduisent à refuser les règles sanitaires ou « gestes barrières » ; elles sont en partie responsables de la montée des actes d’incivilités et des faits de violences intra ou extra familiales. L’anxiété et l’angoisse inhibant les capacités psychiques, individuelles et collectives, seront en partie responsables de la perte du dynamisme ou de l’énergie vitale dont la nation a besoin pour apprendre, travailler, créer, entreprendre, agir, consommer… Elles risquent d’engendrer de la fatigue, de la morosité, de l’ennui, de la dépression…

La peur, contrairement à l’adage qui la décrit comme « mauvaise conseillère » est un ressenti utile et nécessaire : la peur alerte sur la dangerosité d’une situation réelle. Elle met le corps et l’esprit en éveil pour traverser l’épreuve le mieux possible sans se mettre en trop grand danger. Elle rend vigilant. Elle décuple les capacités intellectuelles pour analyser le champ des possibles. Elle prépare à l’action physique, y compris par la fuite. La peur aide à prendre conscience de la gravité d’une situation ; mais comme elle mobilise toutes les capacités dans le but de sortir de ladite situation sans trop de dommages, elle est dévoreuse d’énergie. Elle est épuisante sur la durée quand s’ajoute à la peur, une importante quantité d’anxiété, voire d’angoisse.

Il n’est donc pas inutile de faire preuve de discernement pour différencier et nommer avec justesse ce que nous ressentons, de chercher et trouver des réponses pour éviter de nous laisser envahir et inhiber par l’incertitude et le sentiment d’insécurité. Il serait alors utile de proposer aux élèves, par petits groupes, des moments de parole pour qu’ils apprennent eux aussi à percevoir, identifier leurs ressentis puis à les élaborer afin de ne pas être dominés par leurs émotions avant de penser et d’agir.

Édith Tartar Goddet

1/ Le fantasme est une production de l’imaginaire (ou « ça » inconscient). Il s’exprime sous forme d’images ou de récits. Il contient, mais pas seulement, une dimension violente, incohérente, irrationnelle…